L’Empire n’est pas mort en 476
Quand on évoque la chute de l’Empire romain d’Occident, on pense souvent à 476 : la déposition du jeune Romulus Augustule par le chef barbare Odoacre. Dans l’imaginaire collectif, Rome disparaît alors pour laisser place aux royaumes barbares et, en Gaule, aux Francs. Pourtant, cette vision est trompeuse : la romanité ne s’effondre pas brutalement. Elle survit, se transforme et résiste d’une manière surprenante.
Pour comprendre, il faut revenir à 474. Cette année-là, Julius Nepos, originaire de Dalmatie, monte sur le trône. Mais l’année suivante, il est renversé par Oreste (ancien secrétaire d’Attila devenu général romain) et contraint à l’exil en Dalmatie. Prenant le pouvoir mais n’ayant pas assez de légitimité, Oreste installe son fils, Romulus Augustule, à peine âgé de quinze ans, sur le trône.
En 476, Odoacre réclame le tiers de l’Italie. Oreste refuse, et Odoacre le fait exécuter avant de déposer Romulus (et l’envoie en exil avec sans doute une pension pour qu’il ne manque de rien). Mais, fait essentiel, Odoacre ne prend pas le titre d’empereur. Au contraire, il renvoie les insignes impériaux à Constantinople et demande le titre de patrice. L’empereur d’Orient, Zénon, lui accorde, mais exige qu’il reconnaisse Julius Nepos comme empereur légitime. Odoacre accepte de frapper monnaie au nom de Népos mais pour autant ne le laisse pas revenir en Italie. Finalement, Népos meurt assassiné en 480 marquant ainsi la fin du dernier Empereur légitime d’Occident.
La mort de Julius Nepos n’efface toutefois pas la romanité. Les rois barbares savent qu’ils manquent de légitimité et qu’ils ne peuvent gouverner qu’en se réclamant de Rome. Ainsi, ils continuent de frapper monnaie au nom des empereurs d’Orient. Ces monnaies circulent largement, rassurent les populations et prouvent la persistance de l’économie romaine. La romanité n’est donc pas détruite mais diluée : elle se cache derrière les institutions reprises par les barbares, qui petit à petit vont s'effriter (par exemple, les francs arrêteront de battre monnaie pour l'Empereur vers 511).
La Gaule conserve longtemps des îlots de romanité. À Soissons, un royaume dirigé par Syagrius , maintient l’administration, l’armée et la culture latine jusqu’en 486. Sa chute est presque ironique : Odoacre, patrice d’Occident, demande aux Francs, fédérés donc théoriquement soumis à Rome, de vaincre ce dernier général romain. C’est donc au nom de Rome qu’un barbare demande à d’autres barbares de soumettre un Romain qui veut récupérer le titre romain de Patrice…
De l’autre côté de la Manche, la Bretagne sub-romaine conserve des traditions romaines bien après le départ des légions en 410. Des tours de guet et les murs du mur d’Hadrien sont réutilisés pour se protéger des raids saxons, preuve que l’infrastructure romaine continue à structurer la vie quotidienne.
Pendant que les structures impériales s’effacent, les populations s’adaptent. Les grandes villes déclinent à travers un exode urbain. Nîmes, par exemple, passe d’un mur d’enceinte de 6km de long à un mur d’enceinte de 1,5km de long soit de 220 hectares fortifiés à seulement 15 hectares. Les armées impériales disparaissent, remplacées par des milices locales. L’économie devient plus locale, agricole et autarcique. Les liens de dépendance apparaissent : les populations se placent sous la protection de grands propriétaires ou de chefs militaires qui eux même se placent sous la tutelle d’un autre chef militaire. C’est l’amorce du système vassalique.
Dans ce contexte troublé, un acteur émerge comme garant de continuité : l’Église. Elle conserve le latin dans la liturgie et l’administration. Elle protège les populations, sert de médiatrice avec les barbares et devient un troisième pouvoir, indépendant de l’autorité militaire et foncière. Elle maintient l’éducation, la culture et offre un repère spirituel et politique. L’Église devient ainsi la colonne vertébrale de la romanité et prépare la synthèse entre monde antique et monde médiéval.
Rome ne meurt pas brutalement en 476 : son héritage perdure dans le droit, la monnaie, la langue, la religion et les mentalités. Cette date marque un tournant, non une fin : l’Empire d’Occident se transforme plutôt qu’il ne s’effondre, avec Julius Nepos, Odoacre, Syagrius et l’Église comme témoins de cette continuité. Si l’on voulait chercher une véritable fin à l’Empire, on pourrait la placer en 496 avec le baptême de Clovis, lorsque la romanité chrétienne épouse le pouvoir barbare. Mais l’histoire de Rome, elle, n’a jamais cessé d’être racontée : elle s’est simplement transformée en histoire de l’Europe médiévale.
Mais ça, ça se trouve dans d’autres vestiges où l’histoire attend, patiemment, d’être racontée…
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